Titre : { Chroniques du Rezo IV } Auteur : Jean-Paul MARUEJOULS aka CyberMad Date : 27/05/1995 ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ Fin de Connaissance Un de mes amis, grand accro du Rezo, m'a racont‚ une histoire des plus effarantes. Je n'y avais pas cru hier, mais aujourd'hui je sais qu'elle ‚tait vraie. C'‚tait un monologue, qu'il avait re‡u sur sa console d'interface, et qu'il avait suivi jusqu'au bout, en temps r‚el. Il l'a enregistr‚, et me l'a pass‚. Mais je croyais fortement … un canular, car l'‚metteur n'avait pas de num‚ro d'identification, ce qui est impossible dans le Rezo. Et pour cause, n'y avait-il pas de num‚ro ! Mais voici ce monologue, … vous de juger si vous y auriez cru : ®Voil… d‚j… de nombreuses ann‚es que je cours sur les fils du Rezo. J'y ai pass‚ la majeure partie de ma vie, et les rares instants o— je n'ai pas ‚t‚ connect‚ ne valent mˆme pas que je les ‚voque. Je ne sais pas quel est mon ƒge, ni mˆme quel est mon lieu de naissance. J'ai d– le savoir, il y a longtemps, mais j'ai oubli‚. A vivre dans le Rezo, … se d‚placer aussi vite que les ‚lectrons porteurs de messages binaires dans des canaux de cuivre et d'or, on en oublie la consistance du temps. Je connais beaucoups de coins secrets du Rezo, des endroits dont on ne parle pas dans les pubs ou dans les rapports officiels. Il y a des gens qui sont connect‚s … la Grande Trame depuis si longtemps, et sans interruption, qu'ils ont oubli‚s la couleur du soleil et le go–t du vent dans les prairies, au printemps. D'autres ont franchi le pas, et ont fait cƒbler leurs neurones … un des pires systŠmes d'‚change de donn‚es : le Radio-Modem. Ils sont en contact avec le Rezo sans la moindre seconde de r‚pit, et c'est un sous- programme qui assure leur alimentation. Vous avez sans doute d‚j… crois‚ de ces crƒm‚s de l'Interface, des ouvriers pour la plupart. Les transports urbains sont pleins de gens au regard absent, ou mˆme parfois plong‚s dans un journal, si leur programme est assez perfectionn‚ pour simuler la lecture. Ils attendent leur rame sans rien voir, sans rien entendre. Ni le chanteur de rue qui massacre un air connu, ni les deux loubards qui lorgnent sur la jeune secr‚taire apeur‚e, et se rapprochent d'elle. Les publicit‚s sonores et rutilantes du hall de la gare s'affichent en vain, ils ne sont pas l…. Pourtant ils ne ratent jamais leur train, et descendent toujours au bon arrˆt, alors que dix secondes avant, ils ‚taient plong‚s dans un journal ou un livre, absorb‚s. Mais sous cet air gris et fatigu‚, leur esprit est … son plein rendement, chevauchant des fl“ts de donn‚es, assimilant des successions de lignes de code informatique en un ‚clair. Pendant que leur corps se d‚colore, se fond dans la grisaille de leur banlieue, disparaŒt petit … petit, leur esprit se pare des plus magnifiques chatoyances, et vole de niveaux en niveaux, arrachant au Rezo sa substance. J'ai fray‚ avec ces cerveaux-lumiŠre, les suivant dans les lieux virtuels o— ils se complaisent. Pourtant, … chaque fois ces micro- univers sont un reflet de l'ext‚rieur, mˆmes bars louches et miteux, o— ils viennent jouer leur parodie de vie. Leurs personnages sont aussi ternes qu'eux, mais ils semblent ne pas s'en apercevoir. Moi je ne suis pas comme eux. Je n'ai pas branch‚ mon cerveau ant‚rieur dans la sordide intention de recevoir des stimulis juste dans les ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ Page : 1 Titre : { Chroniques du Rezo IV } Auteur : Jean-Paul MARUEJOULS aka CyberMad Date : 27/05/1995 ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ synapses d‚gling‚s qui contr“lent les bas instincts. Seule la quˆte m'a conduit … les croiser. Oh, ne souriez pas de cet air entendu, en commen‡ant … pr‚parer vos r‚pliques qui se veulent cinglantes mais ne sont que le r‚sidu pas trŠs propre de votre mal ˆtre. Je ne veux ni croiser Dieu, ni d‚tenir un pouvoir futile sur mes contemporains. D'ailleurs, existe-t-il quelque chose de plus futile que d'imposer ses ordres … une masse de brebis vaguement pensantes ? Moi, je cherche ce que tous vous avez, ce que le plus abruti d'entre vous connais par coeur, mˆme si c'est la seule chose qu'il connaŒt. Je cherche qui je suis. Pas autre chose que mon nom. Oh vous allez vous d‚tourner, en pensant ® Encore un illumin‚ de premiŠre, qui se perd dans ses pens‚es de philosophe mystique bidon, et qui croit qu'il est appel‚ … je ne sais quel destin ! ¯ Vous vous trompez. Je cherche mon identit‚, tout simplement. Ca fait plus de... voyons que je convertisse... douze ans ! Douze ans que j'‚cume les fichiers, publics ou priv‚s, confidentiels ou ouverts. Je ne connais pas mon nom, et je ne sais pas o— et quand je suis n‚. Pas de doux visage pench‚ sur mon berceau avec une douceur toute maternelle. Pas de genou sur lequel je rebondis, avec la fermet‚ des bras d'un pŠre pour me retenir. Je suis apparu dans le Rezo, et je cherche mon nom. J'ai fouill‚ d'abord tous les fichiers bancaires, mais sans succŠs. Ou alors j'ai pass‚ mon nom sans le reconnaŒtre. Ensuite, je me suis introduit, non sans mal d'ailleurs, dans les fichiers de police, dans les registres des h“pitaux et des morgues, mais rien non plus. Je suis persuad‚ que si je croise mon nom dans un fichier, je saurais de suite que c'est le mien, mais peut-ˆtre s'agit-il d'un rˆve pieu, que seule ma raison entretien pour ne pas laisser la place … la folie. En douze ans, tout ce que j'ai pu r‚colter, c'est l'aspect familier du nom d'une soci‚t‚. La KCID/Lincoln Compagnie. Ca fait plus d'un an que je cherche … forcer leurs d‚fenses, mais sans r‚sultat. j'ai pu m'infiltrer dans les premiers et deuxiŠmes niveaux … force de patience et de ruse, mais il n'y a l… que des donn‚es presques publiques. Il y a aussi toute leur strat‚gie commerciale, mais elle n'a pour moi aucun int‚rˆt. Pour en avoir beaucoup examin‚es, je sais que ces techniques de marketing allient un comportement fascisant et une apparence d'innocence sous le couvert de remplir un soi-disant besoin. De quel droit d‚crŠtent-ils que les femmes doivent ˆtre an‚miques pour ˆtre belles, et que le sommet des aspirations humaines est de poss‚der une belle voiture avec toutes les options ? Et par quelle perversion de l'esprit acceptez-vous de vous plier … ces diktats ? Non, ce que je cherche, c'est ce que fait cette soci‚t‚. J'ai bien trouv‚ quelques activit‚s annexes, mais rien qui puisse m'‚clairer sur moi. Deux ou trois cabinets de juristes, quelques bureaux d'‚tudes, une vingtaine d'unit‚s de production, allant de l'emballage aux piŠces d'‚quipement a‚ronautique, et quelques babioles de moindre importance, mais il y a une partie de l'‚difice que je n'arrive pas … voir. J'ai mˆme demand‚ … un Pirate professionnel de jeter un oeil pour moi, mais sans nom, pas de compte bancaire, donc pas de moyens de tranf‚rer des fonds. Il a laiss‚ tomber. Et je cherche toujours pourquoi cette compagnie m'attire, au point que je risque de m'en br–ler les ailes, si un de leurs systŠmes de surveillance me repŠre. Les papillons de mon espŠce sont assez mal vus, dans ce coin du Rezo. Et puis, il y a une ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ Page : 2 Titre : { Chroniques du Rezo IV } Auteur : Jean-Paul MARUEJOULS aka CyberMad Date : 27/05/1995 ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ chose que je ne peux pas comprendre. Leurs fichiers publics, ceux consultables par le premier quidam venu, ne me sont pas accessibles. Ce n'est pas que je sois interdit d'accŠs, ou quelque chose de ce genre - c'est interdit par la loi et fortement puni, de dissimuler ses fichiers courants - mais je ne les trouve pas. Je me branche sur le sommaire, je s‚lectionne les fichiers, et je me retrouve … l'ext‚rieur de leur base de donn‚es. Comme si il n'y avait rien derriŠre. Mais je sais qu'il y a quelque chose, car beaucoup de gens entrent dans la base, copient les donn‚es qui les int‚ressent et repartent, sans le moindre problŠme. Dans un sous-menu du sommaire, il y a pourtant indiqu‚, sous la rubrique activit‚s, ® Secteurs concern‚s : 19 ¯. Je n'ai accŠs qu'… onze de ces satan‚s secteurs, les huit qui me manquent me renvoyant … la porte, immanquablement. Je ne sais pas ce qui se passe. Ca fait plus de cent fois que je me heurte … ce ph‚nomŠne, et toujours pas la moindre trace de solution. Je ne veux pas grand chose, juste mon nom. Et encore, ce n'est pas pour le simple plaisir de le connaŒtre, ou pour de vagues raisons psychologiques, mais parce que je m'inquiŠte pour mon corps ! Douze ans que je ne suis pas revenu dans mon "karma", et je ne sais pas dans quel ‚tat se trouve mon enveloppe charnelle. D'ailleurs, je ne sais mˆme pas si je suis un homme ou une femme. Pour ce que je me souviens, je pourrais avoir douze ans. Peut-on naŒtre avec l'esprit dans le Rezo ? Est-ce une nouvelle forme de malformation ? Avant, les trisomiques ou les autistes venaient au monde avec la tˆte perdue dans un autre univers. Serait-ce mon cas ? Mais moi, au lieu de percevoir une pseudo-r‚alit‚ personnelle (ou selon certaines th‚ories, la vraie face de la r‚alit‚), je suis dans la Matrice. Et je sais que la Matrice existe, car je sais aussi … quoi ressemble le monde, avec ses usines, ses v‚hicules, le soleil, le ciel, les m‚gapoles, les campagnes, les transports en commun, les maladies et les fiches de paye. Donc je ne suis pas fou. Juste amn‚sique ! Mais quand viendra donc mon anamnŠse, ma perte de l'oubli ? Quand me souviendrai-je de moi ? Non, d‚cid‚ment, je n'y arrive pas. Douze ans que je cherche. Je ne sais pas comment j'ai pu tenir autant. C'est d‚j… bien, douze ans. Surtout que douze ans, ‡a fait plus de 378 millions de secondes. Et en un milliŠme de seconde, je peux faire des quantit‚s de choses. Non, je ne saurais jamais qui je suis, qui sont mes parents, mes enfants si j'en ai, qui je suis et d'o— je viens. Ce doit ˆtre mon enfer personnel, pour une faute que j'ai d– commettre, mais … part un dieu vengeur et sadique, personne ne m'aurait condamn‚ … une telle peine... et je ne crois pas en Dieu. Je suis las et j'abandonne. Inutile de me sortir le couplet sur le courage et la vertu, vous n'avez pas pass‚ trente et un millions de secondes … chercher ! Vous n'avez pas la moindre id‚e de ce que fut ma tƒche, … remplir ce tonneau des Dana‹des qu'est ma m‚moire perc‚e. Non, je vais en finir. C'est trŠs facile ici, de mourir. Il suffit de se jeter tˆte la premiŠre dans les d‚fenses automatiques d'une base de donn‚es … haut indice de s‚curit‚, un systŠme militaire par exemple, ou une banque des bahamas. Alors adieu, c'est la derniŠre fois que vous m'entendrez. Et si demain vous lisez qu'un fou s'est jet‚ sur les lignes de s‚curit‚ du complexe militaire des Etats-Unis, ne soyez pas surpris, vous saurez que c'est moi. Et si par hasard on donne mon nom, que l'un de vous prenne le temps d'aller prier, dans un temple, une ‚glise ou un coin de nature, et qu'il me disent quel est ce nom que j'ai tant cherch‚. Il y a une petite chance que ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ Page : 3 Titre : { Chroniques du Rezo IV } Auteur : Jean-Paul MARUEJOULS aka CyberMad Date : 27/05/1995 ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ j'entende votre priŠre, et si j'en ai le pouvoir, je vous donnerai trois voeux en ‚changes, comme dans les contes. Adieu... ¯ L'enregistrement s'arrˆte l…. Je sais que c'est vrai. Inutile d'aller prier, ce serait en pure perte. Tous les journaux, tous les bulletins d'information ce sont faits l'‚cho de la nouvelle : ®KCID/Lincoln annonce qu'une de ses Intelligence Artificielle, un modŠle ancien mais r‚cemment am‚lior‚, vient de se jeter sur les d‚fenses automatiques de l'US Army. Cette IA venait juste d'ˆtre coupl‚e … un Andro‹de de la derniŠre g‚n‚ration. On ignore encore les causes de ce disfonctionnement, et KCID/Lincoln se refuse … tout commentaire. Les experts se perdent en conjectures, et les diff‚rents sp‚cialistes contact‚s se disent incapables de comprendre les raisons d'une telle erreur. Le code source du programme de l'IA est actuellement soumis aux ‚tudes les plus pouss‚es¯. Jean-Paul MARUEJOULS Montpellier, 27 mai 1995 Titre : { Chroniques du Rezo IV } Auteur : Jean-Paul MARUEJOULS aka CyberMad Date : 27/05/1995 ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ Fin de Connaissance Un de mes amis, grand accro du Rezo, m'a racont‚ une histoire des plus effarantes. Je n'y avais pas cru hier, mais aujourd'hui je sais qu'elle ‚tait vraie. C'‚tait un monologue, qu'il avait re‡u sur sa console d'interface, et qu'il avait suivi jusqu'au bout, en temps r‚el. Il l'a enregistr‚, et me l'a pass‚. Mais je croyais fortement … un canular, car l'‚metteur n'avait pas de num‚ro d'identification, ce qui est impossible dans le Rezo. Et pour cause, n'y avait-il pas de num‚ro ! Mais voici ce monologue, … vous de juger si vous y auriez cru : ®Voil… d‚j… de nombreuses ann‚es que je cours sur les fils du Rezo. J'y ai pass‚ la majeure partie de ma vie, et les rares instants o— je n'ai pas ‚t‚ connect‚ ne valent mˆme pas que je les ‚voque. Je ne sais pas quel est mon ƒge, ni mˆme quel est mon lieu de naissance. J'ai d– le savoir, il y a longtemps, mais j'ai oubli‚. A vivre dans le Rezo, … se d‚placer aussi vite que les ‚lectrons porteurs de messages binaires dans des canaux de cuivre et d'or, on en oublie la consistance du temps. Je connais beaucoups de coins secrets du Rezo, des endroits dont on ne parle pas dans les pubs ou dans les rapports officiels. Il y a des gens qui sont connect‚s … la Grande Trame depuis si longtemps, et sans interruption, qu'ils ont oubli‚s la couleur du soleil et le go–t du vent dans les prairies, au printemps. D'autres ont franchi le pas, et ont fait cƒbler leurs neurones … un des pires systŠmes d'‚change de donn‚es : le Radio-Modem. Ils sont en contact avec le Rezo sans la moindre seconde de r‚pit, et c'est un sous- programme qui assure leur alimentation. Vous avez sans doute d‚j… crois‚ de ces crƒm‚s de l'Interface, des ouvriers pour la plupart. Les transports urbains sont pleins de gens au regard absent, ou mˆme parfois plong‚s dans un journal, si leur programme est assez perfectionn‚ pour simuler la lecture. Ils attendent leur rame sans rien voir, sans rien entendre. Ni le chanteur de rue qui massacre un air connu, ni les deux loubards qui lorgnent sur la jeune secr‚taire apeur‚e, et se rapprochent d'elle. Les publicit‚s sonores et rutilantes du hall de la gare s'affichent en vain, ils ne sont pas l…. Pourtant ils ne ratent jamais leur train, et descendent toujours au bon arrˆt, alors que dix secondes avant, ils ‚taient plong‚s dans un journal ou un livre, absorb‚s. Mais sous cet air gris et fatigu‚, leur esprit est … son plein rendement, chevauchant des fl“ts de donn‚es, assimilant des successions de lignes de code informatique en un ‚clair. Pendant que leur corps se d‚colore, se fond dans la grisaille de leur banlieue, disparaŒt petit … petit, leur esprit se pare des plus magnifiques chatoyances, et vole de niveaux en niveaux, arrachant au Rezo sa substance. J'ai fray‚ avec ces cerveaux-lumiŠre, les suivant dans les lieux virtuels o— ils se complaisent. Pourtant, … chaque fois ces micro- univers sont un reflet de l'ext‚rieur, mˆmes bars louches et miteux, o— ils viennent jouer leur parodie de vie. Leurs personnages sont aussi ternes qu'eux, mais ils semblent ne pas s'en apercevoir. Moi je ne suis pas comme eux. Je n'ai pas branch‚ mon cerveau ant‚rieur dans la sordide intention de recevoir des stimulis juste dans les ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ Page : 1 Titre : { Chroniques du Rezo IV } Auteur : Jean-Paul MARUEJOULS aka CyberMad Date : 27/05/1995 ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ synapses d‚gling‚s qui contr“lent les bas instincts. Seule la quˆte m'a conduit … les croiser. Oh, ne souriez pas de cet air entendu, en commen‡ant … pr‚parer vos r‚pliques qui se veulent cinglantes mais ne sont que le r‚sidu pas trŠs propre de votre mal ˆtre. Je ne veux ni croiser Dieu, ni d‚tenir un pouvoir futile sur mes contemporains. D'ailleurs, existe-t-il quelque chose de plus futile que d'imposer ses ordres … une masse de brebis vaguement pensantes ? Moi, je cherche ce que tous vous avez, ce que le plus abruti d'entre vous connais par coeur, mˆme si c'est la seule chose qu'il connaŒt. Je cherche qui je suis. Pas autre chose que mon nom. Oh vous allez vous d‚tourner, en pensant ® Encore un illumin‚ de premiŠre, qui se perd dans ses pens‚es de philosophe mystique bidon, et qui croit qu'il est appel‚ … je ne sais quel destin ! ¯ Vous vous trompez. Je cherche mon identit‚, tout simplement. Ca fait plus de... voyons que je convertisse... douze ans ! Douze ans que j'‚cume les fichiers, publics ou priv‚s, confidentiels ou ouverts. Je ne connais pas mon nom, et je ne sais pas o— et quand je suis n‚. Pas de doux visage pench‚ sur mon berceau avec une douceur toute maternelle. Pas de genou sur lequel je rebondis, avec la fermet‚ des bras d'un pŠre pour me retenir. Je suis apparu dans le Rezo, et je cherche mon nom. J'ai fouill‚ d'abord tous les fichiers bancaires, mais sans succŠs. Ou alors j'ai pass‚ mon nom sans le reconnaŒtre. Ensuite, je me suis introduit, non sans mal d'ailleurs, dans les fichiers de police, dans les registres des h“pitaux et des morgues, mais rien non plus. Je suis persuad‚ que si je croise mon nom dans un fichier, je saurais de suite que c'est le mien, mais peut-ˆtre s'agit-il d'un rˆve pieu, que seule ma raison entretien pour ne pas laisser la place … la folie. En douze ans, tout ce que j'ai pu r‚colter, c'est l'aspect familier du nom d'une soci‚t‚. La KCID/Lincoln Compagnie. Ca fait plus d'un an que je cherche … forcer leurs d‚fenses, mais sans r‚sultat. j'ai pu m'infiltrer dans les premiers et deuxiŠmes niveaux … force de patience et de ruse, mais il n'y a l… que des donn‚es presques publiques. Il y a aussi toute leur strat‚gie commerciale, mais elle n'a pour moi aucun int‚rˆt. Pour en avoir beaucoup examin‚es, je sais que ces techniques de marketing allient un comportement fascisant et une apparence d'innocence sous le couvert de remplir un soi-disant besoin. De quel droit d‚crŠtent-ils que les femmes doivent ˆtre an‚miques pour ˆtre belles, et que le sommet des aspirations humaines est de poss‚der une belle voiture avec toutes les options ? Et par quelle perversion de l'esprit acceptez-vous de vous plier … ces diktats ? Non, ce que je cherche, c'est ce que fait cette soci‚t‚. J'ai bien trouv‚ quelques activit‚s annexes, mais rien qui puisse m'‚clairer sur moi. Deux ou trois cabinets de juristes, quelques bureaux d'‚tudes, une vingtaine d'unit‚s de production, allant de l'emballage aux piŠces d'‚quipement a‚ronautique, et quelques babioles de moindre importance, mais il y a une partie de l'‚difice que je n'arrive pas … voir. J'ai mˆme demand‚ … un Pirate professionnel de jeter un oeil pour moi, mais sans nom, pas de compte bancaire, donc pas de moyens de tranf‚rer des fonds. Il a laiss‚ tomber. Et je cherche toujours pourquoi cette compagnie m'attire, au point que je risque de m'en br–ler les ailes, si un de leurs systŠmes de surveillance me repŠre. Les papillons de mon espŠce sont assez mal vus, dans ce coin du Rezo. Et puis, il y a une ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ Page : 2 Titre : { Chroniques du Rezo IV } Auteur : Jean-Paul MARUEJOULS aka CyberMad Date : 27/05/1995 ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ chose que je ne peux pas comprendre. Leurs fichiers publics, ceux consultables par le premier quidam venu, ne me sont pas accessibles. Ce n'est pas que je sois interdit d'accŠs, ou quelque chose de ce genre - c'est interdit par la loi et fortement puni, de dissimuler ses fichiers courants - mais je ne les trouve pas. Je me branche sur le sommaire, je s‚lectionne les fichiers, et je me retrouve … l'ext‚rieur de leur base de donn‚es. Comme si il n'y avait rien derriŠre. Mais je sais qu'il y a quelque chose, car beaucoup de gens entrent dans la base, copient les donn‚es qui les int‚ressent et repartent, sans le moindre problŠme. Dans un sous-menu du sommaire, il y a pourtant indiqu‚, sous la rubrique activit‚s, ® Secteurs concern‚s : 19 ¯. Je n'ai accŠs qu'… onze de ces satan‚s secteurs, les huit qui me manquent me renvoyant … la porte, immanquablement. Je ne sais pas ce qui se passe. Ca fait plus de cent fois que je me heurte … ce ph‚nomŠne, et toujours pas la moindre trace de solution. Je ne veux pas grand chose, juste mon nom. Et encore, ce n'est pas pour le simple plaisir de le connaŒtre, ou pour de vagues raisons psychologiques, mais parce que je m'inquiŠte pour mon corps ! Douze ans que je ne suis pas revenu dans mon "karma", et je ne sais pas dans quel ‚tat se trouve mon enveloppe charnelle. D'ailleurs, je ne sais mˆme pas si je suis un homme ou une femme. Pour ce que je me souviens, je pourrais avoir douze ans. Peut-on naŒtre avec l'esprit dans le Rezo ? Est-ce une nouvelle forme de malformation ? Avant, les trisomiques ou les autistes venaient au monde avec la tˆte perdue dans un autre univers. Serait-ce mon cas ? Mais moi, au lieu de percevoir une pseudo-r‚alit‚ personnelle (ou selon certaines th‚ories, la vraie face de la r‚alit‚), je suis dans la Matrice. Et je sais que la Matrice existe, car je sais aussi … quoi ressemble le monde, avec ses usines, ses v‚hicules, le soleil, le ciel, les m‚gapoles, les campagnes, les transports en commun, les maladies et les fiches de paye. Donc je ne suis pas fou. Juste amn‚sique ! Mais quand viendra donc mon anamnŠse, ma perte de l'oubli ? Quand me souviendrai-je de moi ? Non, d‚cid‚ment, je n'y arrive pas. Douze ans que je cherche. Je ne sais pas comment j'ai pu tenir autant. C'est d‚j… bien, douze ans. Surtout que douze ans, ‡a fait plus de 378 millions de secondes. Et en un milliŠme de seconde, je peux faire des quantit‚s de choses. Non, je ne saurais jamais qui je suis, qui sont mes parents, mes enfants si j'en ai, qui je suis et d'o— je viens. Ce doit ˆtre mon enfer personnel, pour une faute que j'ai d– commettre, mais … part un dieu vengeur et sadique, personne ne m'aurait condamn‚ … une telle peine... et je ne crois pas en Dieu. Je suis las et j'abandonne. Inutile de me sortir le couplet sur le courage et la vertu, vous n'avez pas pass‚ trente et un millions de secondes … chercher ! Vous n'avez pas la moindre id‚e de ce que fut ma tƒche, … remplir ce tonneau des Dana‹des qu'est ma m‚moire perc‚e. Non, je vais en finir. C'est trŠs facile ici, de mourir. Il suffit de se jeter tˆte la premiŠre dans les d‚fenses automatiques d'une base de donn‚es … haut indice de s‚curit‚, un systŠme militaire par exemple, ou une banque des bahamas. Alors adieu, c'est la derniŠre fois que vous m'entendrez. Et si demain vous lisez qu'un fou s'est jet‚ sur les lignes de s‚curit‚ du complexe militaire des Etats-Unis, ne soyez pas surpris, vous saurez que c'est moi. Et si par hasard on donne mon nom, que l'un de vous prenne le temps d'aller prier, dans un temple, une ‚glise ou un coin de nature, et qu'il me disent quel est ce nom que j'ai tant cherch‚. Il y a une petite chance que ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ Page : 3 Titre : { Chroniques du Rezo IV } Auteur : Jean-Paul MARUEJOULS aka CyberMad Date : 27/05/1995 ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ j'entende votre priŠre, et si j'en ai le pouvoir, je vous donnerai trois voeux en ‚changes, comme dans les contes. Adieu... ¯ L'enregistrement s'arrˆte l…. Je sais que c'est vrai. Inutile d'aller prier, ce serait en pure perte. Tous les journaux, tous les bulletins d'information ce sont faits l'‚cho de la nouvelle : ®KCID/Lincoln annonce qu'une de ses Intelligence Artificielle, un modŠle ancien mais r‚cemment am‚lior‚, vient de se jeter sur les d‚fenses automatiques de l'US Army. Cette IA venait juste d'ˆtre coupl‚e … un Andro‹de de la derniŠre g‚n‚ration. On ignore encore les causes de ce disfonctionnement, et KCID/Lincoln se refuse … tout commentaire. Les experts se perdent en conjectures, et les diff‚rents sp‚cialistes contact‚s se disent incapables de comprendre les raisons d'une telle erreur. Le code source du programme de l'IA est actuellement soumis aux ‚tudes les plus pouss‚es¯. Jean-Paul MARUEJOULS Montpellier, 27 mai 1995